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Travail forcĂ© dans la pĂȘche industrielle britannique

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  • Post last modified:28 janvier 2023

Le groupe de recherche sur l’esclavage moderne Rights lab, de l’universitĂ© de Nottingham, a publiĂ© le 21 mai 2022 un rapport visant l’industrie de la pĂȘche au Royaume-Uni, Letting exploitation off the hook? Evidencing labour abuses in UK fishing. L’utilisation des visas de transit pour des travailleurs Ă©trangers est le principal outil de cette exploitation. Ces visas permettent aux marins venus de pays hors espace Ă©conomique europĂ©en de monter Ă  bord de navires dans les ports britanniques qui partent ensuite dans les eaux internationales, au-delĂ  de la mer territoriale.

Le 16 mai 2022, ITF, la FĂ©dĂ©ration Internationale des ouvriers des Transport avait publiĂ© un premier rapport allant dans le mĂȘme sens : A One way ticket to Labour exploitation: How transit visa loopholes are being used to exploit migrants fishers on UK fishing vessels.

RĂ©sumé : « Les visas de transit sont le point de dĂ©part de l’abus de travail des travailleurs migrants travaillant dans l’industrie de la pĂȘche au Royaume-Uni. Ce type de visa est destinĂ© Ă  permettre aux marins d’autres pays de monter Ă  bord de navires dans les ports britanniques qui partent ensuite dans les eaux internationales.

Les propriĂ©taires de navires de pĂȘche ont Ă©tĂ© autorisĂ©s Ă  abuser de ce visa en employant des migrants, en les emmenant pĂȘcher dans les eaux internationales (Ă  plus de 12 milles marins de la cĂŽte britannique) pour remplir les conditions de transit, mais en les ramenant ensuite dans un port britannique pour vivre Ă  bord du bateau de pĂȘche. Ils soutiennent qu’ils sont autorisĂ©s Ă  le faire en vertu des rĂšgles actuelles mais, au mieux, c’est une Ă©chappatoire qui doit ĂȘtre comblĂ©e.

C’est rapide et facile pour les propriĂ©taires d’utiliser ce systĂšme, mais les pĂȘcheurs ne sont pas vraiment en transit. Le visa leur permet de travailler au Royaume-Uni jusqu’Ă  un an, pĂ©riode pendant laquelle ils sont gĂ©nĂ©ralement confinĂ©s Ă  vivre et Ă  travailler Ă  bord d’un navire de pĂȘche qui entre et sort des ports britanniques entre les sorties de pĂȘche.

Les armateurs Ă  la pĂȘche peuvent menacer les migrants d’ĂȘtre Ă©jectĂ©s de leurs bateaux. À ce stade, le visa de transit ne s’applique plus et les autoritĂ©s britanniques les traiteraient comme des immigrants illĂ©gaux. Les propriĂ©taires exploitent l’incertitude entourant les rĂšgles d’immigration pour garder les travailleurs sous leur contrĂŽle. L’incertitude donne trop de pouvoir aux exploitants de navires de pĂȘche. Ils traitent les migrants comme moins que des travailleurs, les rĂ©munĂšrent mal par rapport aux pĂȘcheurs britanniques/europĂ©ens sur les mĂȘmes navires et les font vivre sur des navires qui ne sont pas destinĂ©s Ă  l’hĂ©bergement Ă  long terme. Encore une fois, l’exigence d’un contrat avec un salaire mensuel dĂ©clarĂ© pour le visa de transit permet cette exploitation par le travail.

L’utilisation des visas de transit est le point de dĂ©part d’un cycle d’abus qui ne peut plus ĂȘtre tolĂ©rĂ©. Changer le systĂšme pour combler l’Ă©chappatoire sera une Ă©tape majeure dans la protection des droits des travailleurs. Nous pensons que les navires de pĂȘche qui opĂšrent Ă  partir de ports britanniques devraient ĂȘtre soumis aux mĂȘmes rĂšgles d’immigration que celles qui s’appliquent Ă  tout autre employeur britannique. Le fait qu’ils se dĂ©placent pĂ©riodiquement en dehors des eaux territoriales ne devrait pas avoir d’incidence sur la maniĂšre dont les travailleurs sont traitĂ©s. Certains pĂȘcheurs sont dĂ©jĂ  dĂ©finis comme des travailleurs qualifiĂ©s en vertu des rĂšgles d’immigration britanniques et il ne devrait donc y avoir aucun obstacle aux employeurs lĂ©gitimes faisant venir des travailleurs migrants.

Si l’utilisation des visas de transit devait ĂȘtre rĂ©formĂ©e, cela contribuerait grandement Ă  protĂ©ger les travailleurs migrants des abus qu’ils subissent actuellement lorsqu’ils travaillent sur des navires de pĂȘche britanniques et leur accorderait les mĂȘmes droits et protections que tout autre travailleur employĂ© au Royaume-Uni. »

Le rapport du Rights lab, de l’universitĂ© de Nottingham, dĂ©veloppe les mĂȘmes constats. Ces travailleurs, avec visa de transit, ne sont pas autorisĂ©s Ă  rester au Royaume-Uni et donc doivent vivre Ă  bord pendant la durĂ©e de leur contrat de travail (10 ou 12 mois), comme si le navire de pĂȘche battant pavillon britannique Ă©tait un lieu extĂ©rieur, un lieu d’extra-territorialitĂ© dans un port britannique. L’enquĂȘte indique clairement qu’il s’agit d’abus constatĂ©s, existants, mais qu’il ne faut pas gĂ©nĂ©ralisĂ©s. Le rapport s’appuie cependant sur les tĂ©moignages de 124 pĂȘcheurs immigrĂ©s recueillis entre juin et octobre 2021.

Il rĂ©vĂšle que « 19 % des sondĂ©s ont signalĂ© des conditions comparables au travail forcĂ© et 48 % ont signalĂ© des cas potentiels ». Les conclusions de l’enquĂȘte rendent compte de violences physiques et de racisme, de recrutement via des agences non agrĂ©Ă©s, d’endettement forcĂ©. Environ 75 % ont dĂ©clarĂ© se sentir discriminĂ©s par leur capitaine. Un tiers a dĂ©clarĂ© travailler plus de 20 heures par jour, pour un salaire moyen de 3,51 livres de l’heure (4 euros) ; 25 % assurent ne jamais bĂ©nĂ©ficier de 77 heures de repos sur une pĂ©riode de sept jours ; 18 % d’entre eux ont Ă©té « contraints de travailler sur un navire non dĂ©signĂ© dans leur contrat », pointe le Rights lab.

De telles situations Ă©taient dĂ©jĂ  relevĂ©es par le journal Le Marin, en janvier 2018, au Royaume-Uni, ainsi qu’en Irlande. En dĂ©cembre 2017, neuf marins, originaires du Ghana, d’Inde et du Sri Lanka, avaient ainsi Ă©tĂ© mis en sĂ©curité dans deux ports au sud de l’Angleterre (« Le marin », 21 dĂ©cembre 2017). EmbarquĂ©s sur deux coquilliers britanniques, ils recevaient un salaire mensuel autour de 1 000 euros pour un nombre d’heures « illimitĂ© ». Deux Britanniques avaient Ă©té arrĂȘtĂ©s. Deux mois plus tĂŽt, les autoritĂ©s irlandaises, inspectant un palangrier d’un armateur espagnol sous pavillon anglais, avaient dĂ©couvert un équipage de treize IndonĂ©siens, payĂ©s 600 euros, pour trois cadres espagnols Ă  bord. Plusieurs manquements Ă  la convention n° 188 de l’OIT sur les conditions de travail à la pĂȘche ont Ă©tĂ© relevĂ©s. Ce navire de 35 mĂštres, anglo-espagnol, Ă©tait basĂ© Ă  Pasajes (Pays basque, Espagne).

Le Migrants Rights Center Ireland (MRCI) a rĂ©vĂ©lĂ© en dĂ©cembre 2017que le rĂ©gime adoptĂ© suite aux rĂ©vĂ©lations intervenues en 2015, du fait d’une enquĂȘte du Guardian, a fait empirer la situation. Il prĂ©voyait 500 permis de travail atypique en 2016 pour les pĂȘcheurs hors EEE (espace économique europĂ©en). Seuls 182 permis ont Ă©tĂ© accordĂ©s, dont la moitiĂ©, renouvelĂ©s en 2017. InadaptĂ©, ce rĂ©gime prĂ©voit un salaire minimum pour 39 heures par semaine mais ces migrants travaillent 117 heures en moyenne, selon des entretiens conduits par le MRCI avec 30 Égyptiens et Philippins embarquĂ©s sur des chalutiers irlandais. RĂ©sultat, leur salaire moyen de 330,40 euros par semaine ramĂšne Ă  2,82 euros l’heure. On est loin du minimum lĂ©gal de 9,15 euros, alors qu’ils sont qualifiĂ©s. Un quart de ces migrants tĂ©moignent aussi d’abus verbal ou physique, et un sur cinq de discrimination ou racisme Ă  bord. Mais le permis les lie au navire : quitter le bord, c’est perdre son permis d’immigration. Ces abus par des armateurs peu scrupuleux ne doivent pas discrĂ©diter la flotte irlandaise, soulignait le MRCI. Il recommandait Ă  l’État de supprimer ce rĂ©gime et de permettre de changer d’employeur ; de nĂ©gocier avec le secteur et l’ITF des conditions de travail et de rĂ©munĂ©ration (salaire minimal et Ă  la part) ; de rĂ©gulariser sous six mois les pĂȘcheurs sans papier, encore plus vulnĂ©rables ; et de ratifier la convention n° 188 de l’OIT.

Ces pratiques, ni contrĂŽlĂ©es, ni sanctionnĂ©es par l’administration contournent la loi britannique sur l’immigration, constituent une violation des obligations internationales du Royaume-Uni. Le Royaume-Uni a ratifiĂ© la convention 188 de l’OIT de 2007 sur le travail Ă  la pĂȘche en janvier 2019, et doit la respecter depuis janvier 2020. D’une annĂ©e sur l’autre, le nombre de pĂȘcheurs migrants Ă©quipant des navires de pĂȘche battant pavillon britannique semble augmenter. Principalement des États europĂ©ens, des Philippines et du Ghana avec un nombre moins important de pĂȘcheurs d’IndonĂ©sie, d’Inde et du Sri Lanka, des inquiĂ©tudes et des rapports font depuis longtemps Ă©tat d’inĂ©galitĂ©s systĂ©miques de rĂ©munĂ©ration et de salaire, d’abus de travail gĂ©nĂ©ralisĂ©s et de programmes d’immigration exploitant.

Les armateurs et les agences de recrutement dĂ©livrent des accords de travail des pĂȘcheurs (FWA) qui ne sont pas conformes Ă  la C188 de l’OIT. En pratique, cela signifie que les pĂȘcheurs migrants sont indĂ»ment traitĂ©s comme des contrevenants Ă  la loi britannique sur l’immigration, mĂȘme lorsque d’autres parties sont responsables de la nature illĂ©gale de leur migration, de leur recrutement et de leur travail. En consĂ©quence, ils sont intimidĂ©s et empĂȘchĂ©s de demander de l’aide, peuvent se voir refuser l’accĂšs aux soins mĂ©dicaux et Ă  l’assurance s’ils sont blessĂ©s ou Ă  une indemnisation pour la famille s’ils sont tuĂ©s, et peuvent se voir refuser le droit au rapatriement s’ils sont « attrapĂ©s ». 60 % ont dĂ©clarĂ© travailler au moins 16 heures par quart de travail et 1/3 ont dĂ©clarĂ© travailler plus de 20 heures par quart de travail. De plus, 30 % ont dĂ©clarĂ© qu’ils n’avaient jamais reçu 10 heures de repos. Parce qu’ils sont tenus de rester Ă  bord du navire pendant qu’ils sont au port, 25 % supplĂ©mentaires ont dĂ©clarĂ© qu’ils ne bĂ©nĂ©ficiaient jamais de 77 heures de repos sur une pĂ©riode de 7 jours parce qu’ils devaient nettoyer et rĂ©parer le navire, retirer l’Ă©quipement du navire, ou raccommoder les filets pendant leurs jours « off » au port.

Le montant moyen de la dette contractĂ©e pour travailler au Royaume-Uni Ă©tait d’environ 1 800 ÂŁ malgrĂ© la C188 de l’OIT interdisant aux pĂȘcheurs d’encourir des frais de placement. Si l’on tient compte du salaire mensuel, de la dette, des primes basĂ©es sur les prises et de la durĂ©e moyenne du travail (Ă  l’exclusion du travail portuaire informel), le salaire moyen des pĂȘcheurs migrants Ă©quivalait Ă  3,51 ÂŁ par heure. Les problĂšmes de violence ou de menaces sont aggravĂ©s par l’isolement des pĂȘcheurs migrants Ă  bord des navires et la nature insulaire de l’industrie de la pĂȘche au Royaume-Uni, ce qui fait que les pĂȘcheurs migrants ne savent pas Ă  qui faire confiance. Il n’y avait pas de consensus clair sur une entitĂ© de confiance Ă  laquelle signaler un grief, et plus de 60 % ont dĂ©clarĂ© qu’ils ne signaleraient jamais un grief par crainte de reprĂ©sailles par le biais de leur propre liste noire ou de la liste noire de leurs familles.

Chaque organisme de rĂ©glementation semble utiliser une lĂ©gislation diffĂ©rente avec peu d’intersection ou de coordination entre les organismes. La Fishermen’s welfare alliance, regroupant quatre groupes reprĂ©sentatifs de pĂȘcheurs britanniques, a indiquĂ© dans un communiqué qu’elle condamne « les rapports d’abus et d’exploitation qui ont Ă©tĂ© publiĂ©s » ; mais que ce rapport « contient beaucoup de choses que les reprĂ©sentants de l’industrie de la pĂȘche ne reconnaissent pas […]. Nous serions heureux d’avoir l’occasion d’examiner cela plus en dĂ©tail avec le gouvernement. »

Les problĂšmes de main-d’Ɠuvre et les violations des droits de l’homme sont devenus un sujet de prĂ©occupation croissante dans le secteur de la pĂȘche et de la production aquacole. La Convention de l’OIT sur le travail dans la pĂȘche de 2007 (C188) est l’instrument le plus complet et le plus Ă©tendu pour le travail dans la pĂȘche, avec des recommandations pour un large Ă©ventail de prĂ©occupations : Ăąge minimum, examen mĂ©dical d’aptitude au travail, Ă©quipage et heures de repos, Ă©quipage liste des conditions requises, accords d’engagement des pĂȘcheurs, rapatriement, recrutement et placement, paiement, logement et nourriture, soins mĂ©dicaux, sĂ©curitĂ© et santĂ© au travail, sĂ©curitĂ© sociale. La C188 s’applique aux travailleurs formels et informels, Ă  la pĂȘche commerciale Ă  petite et Ă  grande Ă©chelle, et surtout aux pĂȘcheurs salariĂ©s et aux pĂȘcheurs Ă  la part. Bien que peu de pays aient ratifiĂ© la convention et que sa mise en Ɠuvre reste limitĂ©e, la C188 fournit un langage et un ensemble de conditions minimales qui doivent ĂȘtre remplies dans la recherche d’un travail dĂ©cent dans la pĂȘche. Il convient de renforcer la coordination internationale et les mĂ©canismes de contrĂŽle portuaire, prĂ©vu par l’accord de 2009 de la FAO concernant l’Etat du port, afin de prĂ©venir et d’éliminer la pĂȘche INN.

(Source : https://www.obs-droits-marins.fr/actualites.html?idArticle=614)

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